Quelles différences entre ces trois dessins ?
Dans l'esprit, aucun : tous trois sont tracés à même le sol et ont la particularité d'être un art éphémère.
Leur but est identique : symboliser la beauté et le temps qui passe, travailler la symétrie pour une meilleure perception de l'équité dans le monde, permettre aux femmes de développer leur sens artistique et décorer l'entrée de la maison pour accueillir chaleureusement les visiteurs. C'est un art pratiqué aussi bien par les hindous que les catholiques du sud.
Le mandala, qui signifie cercle en sanskrit consiste à tracer différents motifs symétriques circonscrits dans un cercle sans utilisation d'instruments géométriques. Il est devenu l'art sacré par excellence du bouddhisme tibétain : on le créé avec du sable coloré ou des fleurs.
Le kôlam, mot tamoul, désigne tout dessin à tracer sur supports de points symétriques en général et qui peut être figuratif (pôû kôlam)
ou sous formes de lignes sinueuses s'entrelaçant et passant à travers les points (sikkou kôlam = kôlam emmêlé).
Comme je le décris dans mon article La journée de la femme, journée d'une indienne , la femme du sud de l'Inde dessine tous les jours au seuil de sa maison un kôlam . Il peut être simple et petit pendant toute l'année et coloré et grand pendant tout le mois de Markaji (15 décembre au 14 janvier) qui correspond à l'hiver ( entre 15 à 20 ° le matin) ou pendant les fêtes nationales ou religieuses. Quand vous passez dans les rues ou sur les routes , vous verrez des kôlams devant chaque maison, chaque commerce, de la plus humble à la pus prestigieuse.
Cette habitude ou plutôt cette tradition remonte à bien trop longtemps pour en connaître l'origine. Ce que l'on peut constater, c'est qu'elle donne à la femme l'occasion d'exercer ses talents d'artiste, de développer son sens esthétique, son sens de la symétrie et de la géométrie en général et son intuition logico mathématique, (intuition et logique, deux notions contraires me direz-vous mais que vous verrez à l'oeuvre lorsque vous serz initiés à l'art du kôlam).
Le sens symbolique de cette activité très matinale, à mon humble avis, réside dans le rôle de la femme au sein d'une famille.
Elle permet à la femme de se lever tôt avant les allées et venues des uns et des autres , au calme, pour être concentrée. C'est le seul moment de la journée où elle s'adonne à un loisir créatif. Lorsque la femme est confuse au sujet d'un problème, on lui conseille de réaliser des "sikkou kôlams" pour y voir clair : ces arabesques sont de véritables prouesses artistiques et nécessitent une vision d'ensemble : savoir où commencer, où passer et enfin où finir. Véritable casse tête pour les non initiés, vrais challenges pour les habituées.
Après avoir réalisé son kôlam, elle jette souvent un coup d'oeil sur celui de la voisine pour en dénombrer les points qui ont sevi de support. Chacune s'inspire de la création de l'autre et la personnalise ,d'où le champ ouvert de possibles avec le même nombre de points et les motifs de base. On organise même des concours de kôlams ; voir les photos de Marie prises à Hyderabad
L'activité peut durer dix minutes à une heure et les femmes savent pertinemment que, dès qu'elles seront rentrées, un camion ou un vélo va passer sur leur oeuvre ou que la pluie risque de l'effacer et elles ne s'en offusquent nullement. Elles verront aussi les oiseaux becqueter la farine de riz qui a servi pour tracer leur kôlam. Voir cette vidéo
C'est aussi une philosophie de la vie : tout est éphémère dans ce monde. Le kôlam nait de la poussière et redevient poussière après être passé par une phase de beauté, c'est la loi de la nature. Le seuil est un espace commun, c'est à dire le monde. Le kôlam, c'est l'être mortel que nous sommes. Briller et accepter que la gloire ne soit que de courte durée.
Je suis reconnaissante à ma mère pour m'avoir transmis cette passion en continuant à tracer des kôlams de manière traditionnelle même en vivant hors de l'Inde.
Etes-vous prêts, vous aussi, à vous lancer dans l'art du kôlam? Voir mes vidéos