Je vous décris aujourd'hui la matinée d'une femme de mon village, telle que je l'ai vue à l'oeuvre.
Levée de bonne heure (quatre heures du matin), sans réveiller les autres qui dorment alignés dans le petit salon, elle balaie le perron et le seuil en terre de la maison. Avec une dextérité qui lui est propre, elle mouille le sol, une surface d'environ six mètres carrés, en
puisant de son seau, à l'aide du creux de ses mains, un mélange d'eau et de bouse de vache fraîche (permet une fois séchée de donner un aspect rigide au chemin de terre et d'éloigner
les microbes).
Avant que le sol n'absorbe cette mixture, courbée en deux, elle y trace un kôlam, (voir article à venir à ce sujet) en faisant glisser entre le pouce et l'index une poudre
blanche, mélange de farine de riz et de calcaire : un don aux insectes et aux oiseaux, la bonne action du matin. C'est aussi parce que la déesse de la fortune, Lakshmi ne pénètre que les maisons
propres et accueillantes.
Elle se rend ensuite dans la cuisine, s'affaire à vider précieusement l'eau de la veille dans un récipient pour laver les cruches qui la
contenaient.
Ensuite, elle les dispose, une sur la tête, l'autre sur la hanche, après avoir
décemment retroussé son sari pour pouvoir faire facilement un kilomètre ainsi, accompagnée de ses voisines âgées de 18 à 75 ans, jusqu'au point d'eau potable le plus proche. Certains hommes
utilisent leur vélo pour transporter l'eau mais ils doivent attendre que les femmes se servent d'abord. En Inde, l'eau est rationnée et n'est disponible que quelques heures le matin, une heure à
midi et quelques heures le soir. En journée, priorité aux agriculteurs pour irriguer leurs champs. En période de sécheresse, les points d'eau ne sont plus utilisables et chaque foyer doit creuser
chez soi pour trouver une nappe phréatique. L'eau est précieuse.
De retour à la maison, avec son chargement d'eau (30 L environ), elle referme les cruches avec une assiette. L'eau y reste toujours fraîche, quelque soit la saison.
Puis dans l'arrière cour, elle utilise la pompe à eau manuelle en fer qui a pris la place du puits pour remplir seaux et cruches. L'eau n'est pas potable et est légèrement salée, un peu
opaque mais elle est utilisable pour la vaisselle, la lessive et le bain.
A la lumière de lampes à huile, elle nettoie sa "cuisinière" faite de trois foyers en terre cuite posée à même le sol en l'enduisant de bouse de vache liquide, y trace de jolis kôlams et allume
le feu avec du bois disposé dans la cour arrière, un peu de kérosène et des galettes de bouse de vache séchées avec de la paille. Elle souffle dans un tuyau en fer pour attiser le feu et dès
qu'elle voit que les trois foyers sont alimentés, elle y pose les énormes cruches en aluminium ou en terre, pour faire chauffer l'eau de bain pour toute la famille.
Entre temps, assise accroupie, ayant à portée de main dans une demi-noix de coco vide, le "liquide-vaisselle" fait de cendres, de boue et bouse de vache et pour éponge, les fibres de noix de
coco, elle lave d'abord toute la vaisselle en inox, puis frotte énergiquement les marmites et les récipients en terre cuite noircis par le feu de bois. Elle
rince la vaisselle en n'utilisant qu'un seau d'eau, sa main droite pour tenir la vaisselle et sa main gauche qui lui envoie l'eau nécessaire pour laver. Puis elle plonge le récipient propre
dans un autre demi seau d'eau. Elle retourne toute la vaisselle au soleil pour les égoutter et les faire sécher.
Avant que la maisonnée ne se réveille, elle se rend à l'étable, balaie et ramasse la précieuse bouse dans un seau. Puis, elle trait la vache en lui parlant doucement.
Elle se dépêche de rentrer préparer le café pour tous : du bon café torréfié et moulu puis filtré dont l'arôme monte jusqu'aux narines du gros dormeur. Elle fait bouillir le lait car on ne boit
que du café au lait en Inde. Elle en retire deux louchées pour faire son yaourt et coupe le lait avec un quart d'eau ou plus selon le nombre de personnes à la maison. Lorsque qu'ils ne sont
pas nombreux, elle en vend au laitier qui fournit les maisons qui n'ont plus de vaches laitières. Le café est prêt, bien sucré et gardé au chaud dans chaque timbale près du feu. Chacun se sert
mais elle va servir son époux elle-même, une façon de lui souhaiter le bonjour.
Entre temps, elle peut prendre "son bain" ou plutôt sa douche rapidement dans la salle d'eau où elle a préalablement rempli et refroidi légèrement l'eau chaude des cruches bouillantes dans un
grand seau en cuivre qu'elle a transporté jusque là. Elle frotte un bout de safran sec sur une pierre pour nettoyer son visage et utilise un savon ayurvédique parfumé qui lui enlève l'odeur de la
bouse. Elle laisse tremper son linge pour le laver plus tard avec les vêtements de sa famille. Elle va ensuite se maquiller devant le miroir du salon : crème, poudre de santal, khôl aux yeux et
le traditionnel pottou ( point rouge sur le front soit avec un liquide rouge ou du kumkum, poudre rouge obtenue avec du safran séché et moulu).
Pendant que les autres membres de la famille se douchent à leur tour, elle prépare un copieux petit déjeuner : idlis (galettes à base de pâte obtenue avec du riz étuvé et de lentilles
blanches trempées et moulues, cuites à la vapeur dans des moules circulaires) et chutney de noix de coco ou de tomates (voir mes recettes, pages à venir).
Vers huit heures, tout le monde est assis en tailleur par terre, devant une petite feuille de bananier et attend d'être servi par la maîtresse de maison.
Pour elle, la journée ne fait que commencer..
Faut-il l'admirer ou la plaindre?
Pour en savoir plus sur les vertus de la bouse de vache : link